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Vie quotidienne et difficultés des divers groupes participant au commerce de la fourrure.
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C’ÉTAIT L’ÉTÉ, et encore une fois, il y avait un navire de la Compagnie dans le port de Stromness.
Le temps était à la fête tant que le Prince of Wales se trouvait encore amarré au port, mais bientôt, il faudra se souhaiter au revoir lorsque les hommes recrutés par David Geddes, l’agent de la Compagnie, lèveront les voiles en direction du Nouveau Monde, cette terre de Rupert éloignée et peuplée de ces étranges indiens et animaux, et où les hivers sont longs et rigoureux.
Les travailleurs et marins d’Orkney étaient fréquemment engagés afin de servir dans la région de la Baie.
La coutume était de placer une annonce sur la porte de l’église des diverses paroisses afin d’être ainsi certain de rejoindre les « classes inférieures » des îles, puisque ces dernières ne manquaient jamais l’office du dimanche. Tous étaient ainsi informés des possibilités d’emploi.
Le capitaine Henry Hanwell transportait un groupe de serviteurs d’Orkney en route vers la Baie. Une fois que les chargements d’oies, de poulets et d’œufs furent embarqués, et les barils d’eau remplis, il partit en direction de l’ouest le 29 juin 1806.
Pour le capitaine, rien d’inhabituel puisqu’il s’agissait de son 13e voyage à bord de ce navire, qu’il commandait depuis sa construction pour la Compagnie de la baie d’Hudson. Parmi ses voyageurs se trouvaient John Scarth et John Fubbister. Scarth, comme un grand nombre des passagers, provenait de la paroisse de Firth. Fubbister représentait la paroisse de St.Andrew, qui était peut être une paroisse d’Écosse, mais plus vraisemblablement la paroisse portant ce nom non loin de Kirkwall.
Les deux furent engagés pour un mandat de trois ans à Albany Factory. De toute évidence, Scarth était un homme d’expérience puisque son salaire de 32£ par année était de beaucoup supérieur à celui d’un ouvrier comme Fubbister, qui ne touchait que 8£. En fait, le premier contrat de John Scarth qui l’amena dans le district de la rivière Albany (il ne touchait que 6£ par année à cette époque) avait expiré dix ans plus tôt.
Il s’était réengagé et avait servi encore huit ans dans le même district comme ouvrier et barreur, pour un salaire plus élevé. Après son retour à la maison à l’automne de 1805, il s’est réengagé et son salaire assez élevé semble montrer que son travail était fort apprécié de la Compagnie.
La troisième semaine d’août, le Prince of Wales jeta l’ancre à Moose Factory, d’où John Fubbister et John Scarth furent emmenés en chaloupe à Albany; ils arrivèrent le 27 août.
Legend : Le Prince of Wales, dans lequel John Fubbister et John Scarth voyagèrent, dans le détroit d’Hudson au cours d’un voyage ultérieur.
Le chef d’Albany était John Hodgson, dont les pouvoirs s’étendaient sur tous les postes en amont, jusqu’au lac Winnipeg et au delà, jusqu’aux rivières Assiniboine et Rouge.
Rapidement, on mit ces recrues au travail car au début de septembre, un groupe comprenant Scarth, Fubbister et James Brown fut envoyé en amont de la rivière Albany jusqu’à Henley House, avec des provisions et des marchandises.
Leur bateau revint avant la fin du mois, ramenant du bois pour la construction des embarcations. Brown et Fubbister devaient bien se connaître, puisque Brown reçut la somme de 1-4-0£ plus tard au cours de cette même année.
Le mois de mai suivant, Scarth, Fubbister et Brown firent partie d’une grande brigade formée de trois grands navires et de trois bateaux devant expédier des marchandises en amont de la rivière.
En juin, un grand navire revint de Martin Falls avec des fourrures et du castoréum. Quelques jours plus tard, John Hodgson partit avec une barge, trois bateaux Henley (embarcation construite localement pour transporter la marchandise sur la rivière Albany) et un autre bateau transportant le reste des marchandises. John Fubbister faisait encore une fois partie de l’équipage.
Plus tard cette année-là, Fubbister partit avec une des brigades pour un long voyage. Le groupe passait par Osnaburgh House et le lac Seul, jusqu’à la rivière Winnipeg et en amont de la Rouge, jusqu’au poste de Pembina. Hugh Heney (parfois épelé Haney) arriva avec les deux bateaux d’Albany le 12 septembre et prit en charge le poste de la Compagnie de la baie d’Hudson.
Ce fut un voyage tragique car un de ses hommes, David Spence junior, mourut en cours de route. Avec le mois de décembre arrivèrent la neige, les tempêtes et le froid extrême, mais selon Alexander Henry (le plus jeune) qui veillait aux intérêts de la Compagnie du Nord Ouest, les récoltes s’étaient terminées près de deux mois plus tôt et il y avait de nombreux bisons à proximité, donc la nourriture ne posait pas de problème particulier. Noël se passa sans histoire, mais quelques jours plus tard survint un événement étonnant.
Le matin du 29 décembre 1807, une des recrues d’Orkney de M. Heney qui était malade, demanda la permission de demeurer dans la maison d’Alexander Henry pour quelque temps. « Je fus surpris de cette demande, écrit M. Henry, mais je lui dis de s’asseoir et de se réchauffer.
Je retournai dans ma chambre, mais peu après, un de mes serviteurs m’envoya chercher me disant que cet homme voulait me parler. Je me rendis donc jusqu’à lui et fus fort surpris de le voir étendu près de l’âtre, se lamentant horriblement.
Il étendit ses mains en ma direction et sur un ton pitoyable, me supplia d’être bon envers un être pauvre, misérable et abandonné, qui en fait n’était pas du sexe que je croyais, mais une fille d’Orkney, enceinte et dont le travail venait de commencer. C’est alors qu’elle ouvrit sa chemise et me présenta une superbe paire de seins, ronds et blancs.
Elle m’expliqua également comment elle s’était retrouvée dans cet état. L’homme qui l’avait débauchée aux îles Orkney, il y a deux ans, passait l’hiver à Grandes Fourches (un poste éloigné de la rivière Rouge). Environ une heure plus tard, elle accoucha d’un beau garçon, et le même jour, elle retourna à la maison dans ma carriole, où elle se remit parfaitement.
Même si peu de choses ont été écrites à ce sujet dans les registres officiels, la nouvelle de cet événement causa une véritable sensation. Elle fut rapportée à Brandon House en février par John Kipling, qui était parti du poste de Heney pour y prendre de la poudre et du tabac pour John McKay, à Pembina.
On rapporte dans un journal qu’il raconta « qu’un des hommes de Haney se révéla être une femme, qui accoucha d’un beau garçon dans la maison de M. Henry; l’enfant naquit avant même qu’on puisse lui enlever ses vêtements. »
Comment cette femme réussit à cacher sa véritable identité pendant si longtemps demeure un mystère, mais elle s’acquittait sans doute de sa tâche comme un homme et il est possible que certains hommes d’Orkney aient été informés de son secret.
En mai, elle partit pour Pembina, car Peter Fidler en route pour Swan River et descendant la rivière Rouge en aval de Pembina entendit dire que Hugh Heney était décédé le 21 mai et que « la femme Mary Fubbester, qui avait accouché d’un garçon le 5 janvier, était également partie. »
Dans ce journal, il ajoute : « elle s’engagea auprès de M. Geddes à Stromness en homme, portant des vêtements d’homme, en 1806 – elle resta à Albany un hiver et son sexe ne fut connu que lors de son accouchement. Seul John Scarth, son amant, savait ce qu’il en était. Elle pouvait faire toutes choses aussi bien que les autres hommes… »
Il semblerait que Mary Fubbester ait voyagé avec le groupe de Heney, qui atteint Martin Falls sur la rivière Albany le 28 juin. Thomas Vincent, alors chef intérimaire à Albany, fait brièvement référence à cette visite en écrivant qu’il les a rencontrés à Martin Falls et qu’un des hommes de M. Heney était en fait une femme débauchée (selon ses dires) par John Scarth, dont elle a eu un enfant.
À Albany en 1808, un autre nom apparaît dans les écrits, celui d’Isabel Gun, établie à Albany Factory, dont le contrat devait se terminer en 1809 et qui touchait 8£ par année.
Quelques années plus tard, sa paroisse de St.Andrew (c’était la seule employée provenant de cette paroisse) fut l’indice qui permit de l’identifier à John ou Mary Fubbister. Les mêmes descriptions pour 1808-1809 montrent que John Scarth était alors en poste à Martin Falls (il revint chez lui en septembre 1812).
Le lien possible avec l’Europe est un paiement tiré du compte de John Fubbister et consigné dans le registre de Londres en 1807, et versé à un prénommé « Cath. Oman ». Le montant était assez élevé, soit 6£, ou le salaire de presque toute une année.
Il était très fréquent pour des employés de la CBH d’envoyer une grande partie de leur salaire à des parents (c’était d’ailleurs une des raisons pour lesquelles ils s’engageaient) et le nom d’Oman est habituel aux îles Orkney.
L’instituteur d’Albany nous en apprend encore un peu davantage. Pendant de nombreuses années, on essaya de faire l’école dans les forts de la baie James. Des livres d’orthographe furent commandés, mais l’enseignement laissait quelque peu à désirer.
En effet, en 1800, William Gaudy, à Albany, « enseignait aux garçons et donnait également un coup de main au tailleur, comme il n’avait qu’une jambe, il n’était bon à rien d’autre… ».
En 1808, on décida d’envoyer de véritables instituteurs dans la Baie. Voyageant à bord du Prince of Wales, qui ramenait cet été-là John Hodgson, chef à Albany, se trouvaient John Clouston et William Harper, deux instituteurs « qualifiés ». Harper arriva à Albany le 16 août 1808. On forma rapidement une classe de onze enfants dont on « éclairerait l’esprit », comme le disait Hodgson.
Peu après son arrivée, William Harper écrit (le 5 septembre) à son patron, Laird of Skaill, William Watt de Breckness, pour lui décrire son voyage et l’informer de ce qui suit :
Je dois aussi vous informer que nous avons ici une femme d’Orkney, elle est venue en ce pays pour suivre son amoureux, mais il s’était engagé pour East Main, et elle pour Albany.
Elle a parcouru 1 500 milles dans les terres et a eu un enfant d’un des hommes de son groupe. Personne ne savait que c’était une femme jusqu’à l’heure de son accouchement. Elle se rendit alors dans une maison à proximité et demanda au maître une chambre privée, ce qu’il lui accorda. Quelques minutes plus tard, elle fut surprise d’entendre les cris d’un jeune enfant.
Elle se trouve maintenant au fort avec son enfant et son emploi principal est celui de blanchisseuse, ce qui prouve que ce n’est pas une sorcière, et c’est ce que je crois puisqu’elle lave mes vêtements.
Le gouverneur a l’intention d’en faire une infirmière auprès des écoliers, car elle ne semble pas souhaiter retourner chez elle, et je crois qu’il a plus de pitié pour son malheur qu’elle semble n’en éprouver elle-même.
Legend : Probablement le poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson à Pembina, peinture de W. Frank Lynn.
Le maître d’école Harper s’acquitte également d’autres fonctions puisque le dimanche 16 octobre, après avoir dit la messe dans la nouvelle aile du fort Albany, « il baptisa le fils de Isabel Gunn…. cérémonie qui fut par la suite formellement consignée. »
Il semble qu’Isabel ait continué de travailler pour la Compagnie pendant une autre année, comme blanchisseuse, infirmière ou à un autre poste, on ne le sait pas. Ce n’est pas avant le 14 septembre que l’on apprend dans le registre du fort qu’Isabel Gun « a été libérée du service de la Compagnie ».
La dernière fois que l’on entendit parler de cette femme remarquable fut le 20 septembre 1809, alors qu’« Isabella Gun et son fils » s’embarquèrent à bord du Prince of Wales.
Le registre ne précise pas la date ou le lieu du débarquement, mais le capitaine Henry Hanwell ramena le navire au port de Stromness le 29 octobre 1809. Dans le registre de Londres des officiers et serviteurs, à l’entrée « Jno Fubbister de St. Andrew » est ajoutée la note « alias Isabella Gun » et « retour à la maison le 20 septembre 1809 ».
Ce que la direction à Londres pensa de toute cette affaire, personne ne le sait, mais il est possible que l’histoire d’Isabel Gunn et de son fils soit restée à leur esprit lorsque le comité écrivit à leur agent David Geddes à Stromness, en décembre 1810 :
«… Depuis quelque temps, on se plaint de l’inefficacité des hommes qui ont été envoyés des Orknies jusqu’aux colonies de la Compagnie… Dernièrement, certains hommes furent déclarés, à leur arrivée, totalement inapte au service.
Le conseil ne se considérera pas tenu par toute entente que vous pourrez avoir contractée, tant que vous ne vous serez pas assuré que les hommes sont solides, aptes et actifs… » Isabel était en fait une servante des plus efficace, même si elle ne convenait pas tout à fait au poste qui lui était réservé.
L’histoire a eu des échos dans la Baie pendant de nombreuses années. Se peut-il que l’on rappelle l’histoire de cette mystérieuse Isabel dans un sketch sur la première expédition de Franklin?
Cette satire (découverte par feu Margaret Arnett MacLeod, éditée par cette dernière et Richard Glover, et publiée dans le Polar Record, vol. 15, no 98, 1971, pp 669-682) semblerait avoir été écrite par des commerçants de fourrure, qui n’étaient pas de grands admirateurs de Franklin, à la baie d’Hudson, en 1824-1825.
Une partie, écrite sous forme de parodie du style de Franklin, se lit comme suit : « En entrant au port de fort Stone (un poste mythique de la Baie), nous fûmes accueillis par un grand nombre de nos anciens amis les Esquimaux… Notre vieil ami, l’élégant et curieux Dolly Squat, nous posa nombre de questions impertinentes, notamment, pourquoi avoir entrepris un si long voyage sans nos femmes? Nous répondîmes : pour économiser nos provisions, voilà la raison principale, mais en cas d’urgence, notre gouvernement nous a autorisé à emmener une blanchisseuse qui vient d’accoucher.
Legend : Albany Factory à l’époque où s’y trouvait Isabel Gunn, dessiné par William Richards, un des garçons qui suivait le cours de William Gaudy.
Nous remercions la Compagnie de la baie d’Hudson pour nous avoir donné la permission de consulter et de publier des extraits de ces registres.
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