|
|
|
|
>>
>>
>> Articles, journaux, publications éphémères
Vie quotidienne et difficultés des divers groupes participant au commerce de la fourrure.
|
|
Une large main me tira de ma cachette.
« Tu écoutes notre conversation, jeune blanc-bec ? » Sébastien me prit par la gorge et poussa son visage grêlé près du mien.
Cela faisait plusieurs semaines que cet homme me tourmentait et il venait de m’attraper à me faufiler commme un voyou. Ces compagnons, Henri et Joseph, tenaient beaucoup à être de nouveau témoins de la légendaire mauvaise humeur de Sébastien.
« Tes oreilles sont trop grandes, Luc. Dis-moi ce que tu as entendu. »
« Rien » ai-je menti. Divulger la vérité à ces hommes valait la mort. Leur apprendre que je les avais surpris à comploter la mort de Nicholas Perrot, le chef de notre expédition, mettrait fin à ma courte carrière de coureur de bois.
Autour du camp, on évitait Sébastien et on ne me prêtait pas attention. On s’occupait plutôt à décharger les canots de leurs précieuses cargaisons de peaux de castor.
Ici, dans les grands bois de Nouvelle-France, les coureurs de bois vivent à leur façon. À travers la colonie, on racontait maintes histoires au sujet de leurs bagarres et de leur farouche mode de vie.
Sébastien se trouvait à la source de plusieurs de ces histoires. Il était aussi le second de notre expédition. Avec Nicholas parti, Sébastien s’emparerait d’une plus grande partie de l’argent provenant des pelteries. Je ne doutais pas que les préparatifs de meurtre de Sébastien étaient bel et bien réels.
« Je pense que tu as sasi quelque chose, blanc-bec. » dit Sébastien en me tordant le cou de plus fort.
« Sébastien ! » Le gros homme sursauta en entendant son nom. Nicholas Perrot s’approchait de nous en traversant le camp. Sébastien me serra la gorge une dernière fois.
« Souffle un mot à Perrot et tu partageras son sort. » Il me poussa de côté et se retourna pour faire face à son patron.
IL FALLAIT QUE JE MENTE
« Continues d’ajouter de la gomme d’épinette à cette fissure et ton canot sera trop lourd pour le portage des rapides des Bouleaux Brisés demain, » dit Nicholas Perrot en souriant de l’autre bout de mon canot plus tard cette nuit.
Nicholas savait que je n’avais que 16 ans et que j’étais encore trop jeune pour devenir coureur de bois. Il savait de plus qu’un autre été passé sur la ferme familiale aurait été plus pénible que les deux derniers mois remplis de portages érintants. Sous le poids du secret de Sébastien, ces journées ennuyeuses sur la ferme me manquaient.
« Ça ne vas pas, Luc ? » Nicholas inspecta ma remise en état, tout en polissant la gomme d’épinette où elle était trop épaissse.
« Ça va » ai-je menti. Je ressentais toujours la main de Sébastien sur mon cou. La vérité me restait coincée dans la gorge et je demeurai silencieux le reste de la nuit.
DANGER À VENIR
Le lendemain matin, le camp bourdonnait d’activité bien avant que le soleil ait franchi la crête des épinettes rouges. Les hommes travaillaient fébrilement et silencieusement à charger les canots de pelteries et de matériel.
Appuyée contre le plat-bord de mon canot se trouvait une seule pagaie à la poignée bleue. Chaque homme avait une pagaie unique à lui et je reconnus celle-ci immédiatement.
« Ne reste pas planté-là comme un orignal effrayé, blanc-bec. » Sébastien laissa tomber un ballot de fourrrures dans le canot. « Aujourd’hui tu voyages avec moi. »
Mes bras s’endorlissaient à son rythme effréné, mais je ne me plaignais pas. Nous étions bien à l’avance des autres canots plus grands.
« Nous irons de l’avant en éclaireur et surveillerons la route. » avait-il dit à Nicholas.
Toute la matinée, nous avons parcouru le cours indolent de la rivière à une forte et constante allure. Sébastien pagayait dure et je n’avais autre choix que d’égaler ses coups.
À midi, en contournant un méandre de la rivière, nous avons enfourché un courant plus fort. Sur la pente faible se trouvaient plusieures pagaies plantées dans le sable mou. Au pied de chaque pagaie il y avait une petit croix. Chacune d’elles avait appartenu à un moment à un individu, un coureurs de bois. Chaque croix indiquait la mort d’un individu dans les rapides en amont. Nous étions arrivés aux rapides des Bouleaux Brisés.
« Portage. » annonça Sébastien.
Je dirigeai le canot vers la berge. Sébastien sauta du canot, les pieds dans l’eau jusqu’aux genoux. Il jeta sa pagaie sur la plage.
« Tu en connais trop, blanc-bec. » dit-il en s’agrippant au plat-bord du canot. « Ce soir, ta pagaie joindra les autres sur cette plage. » D’une poussée ferme, Sébastien remit mon canot à l’eau et le poussa en direction des rapides.
LES RAPIDES
De l’eau bouillante et menaçante tourbillonait dans un chaos effroyable. J’utilisai ma pagaie pour pousser mon canot loin du premier rocher. Je naviguai autour d’un second et manquit un troisième de justesse. Mais je n’ai pas vu le quatrième rocher.
J’ai entendu un bruit horripilant lorsque la roche à transperçé le fond du canot. Elle a pénétré le bouleau mouillé comme le couteau d’un trappeur transperce une peau. Un par un, les ballots de fourrures s’enfoncèrent dans les eaux de la rivière. Une vague m’engouffra subitement et je me suis trouvé à la dérive.
Je me suis roulé et débattu ici et là à travers les rapides. La pression implacable de l’eau me clouait sous la surface. Je sentais mes poumons se resserrer. Ma tête était martelée. J’allais mourir et Nicholas Perrot aussi. Je n’étais qu’un lâche qui craignait Sébastien et qui maintenait le silence lorsqu’il aurait dû parler.
Des tourbillons d’eau, la poignée bleue de la pagaie de Sébastien vint me frapper en pleine face. Pour un instant, je croyais que ce n’était qu’une autre roche. Mais la pagaie papillonnait devant moi. Quelqu’un la tenait solidement contre le courant. Quelqu’un essayait de me secourir. Je saisis la pagaie. Immédiatement, je fus tiré contre le courant vers la rive.
Une large main familière me traîna hors de la rivière et me déposa sur le rivage. Je restai cramponné à la pagaie à poignée bleue en crachant de l’eau.
« Ta pagaie ne sera pas plantée sur la plage ce soir, blanc-bec. » Sébastien était penché sur moi. Il semblait soulagé mais ces traits trahissait ses inquiètudes. Pourquoi Sébastien m’avait-il secouru ?
À ses côtés se trouvait Nicholas Perrot. Il était à bout de souffle et ses vêtements étaient trempés. « J’ai t’ai vu porté par les rapides et nous sommes accourus ici. » Nicholas m’aida à m’asseoir sur une roche. » Si nous étions arrivés quelques secondes plus tard, vous seriez noyés. »
Les deux hommes s’étaient précipités le long du sentier du portage. Ils m’avaient repéré dans les rapides et s’étaient donnés la main pour me faire parvenir la pagaie à poignée bleue. La pagaie de Sébastien m’avait sauvé la vie. Mes mains refroidies ne pouvaient s’en délaisser.
Ma tête bourdonnait, mais mes pensées s’éclaircissaient. Nicholas n’avait pas aperçu le geste de Sébastien poussant mon canot dans les eaux tumultueuses. Il croyait à l’accident et Sébastien ne disait pas mot.
Sébastien ! Tout à coup, je me me souvins de ses intentions.
Sébastien se tenait derrière Nicholas. Il tenait son grand couteau à écorcher dans sa main. En vain, j’essayai d’avertir Nicholas, mais les mots me restaient pris dans la gorge.
Sébastien s’approchait, le couteau brandi.
J’ai décoché un coup ave la pagaie à poignée bleue.
Celle-ci se fracassa contre le crâne de Sébastien. Le couteau rebondit sur les roches de la rive. Le coureur de bois tomba dans l’eau. Nous regardâmes bouche bée tandis que le corps de Sébastien disparut danes les tourbillons effrénés des rapides.
« C’était mon copain. Mais l’avidité met fin à toute amitié, » dit Nicholas. Il ramassa le couteau de Sébastien parmi les roches et un reflet de tristesse croisa ses traits. « J’ai l’impression que nous allons ajouter une autre pagaie sur la plage ce soir, après tout. »
Other
Related Material
Imprimez la dernière page de cette histoire (défilez vers le haut, c’est l’image 7 à votre gauche) pour le jeu de fond correspondant : La course de canots.
Lisez davantage d’extraits au sujet des portages - entrez 'portage' ou 'transport' dans la case de recherche à votre gauche.
Consultez le Beaver Index - p.ex., coureurs de bois, voyageurs, portages, etc.
Liam O’Donnell écrit un peu de tout, allant des bandes dessinées aux romans. Ces ouvrages de fiction et ces ouvrages généraux apparaissent en forme de livre, dans des revues et sur les écrans de télévision à travers l’Europe et les Amériques. Vous pouvez le retrouver à l’adresse suivante : liamodonnell.com.
|
Did
You Know?
Qui :
Les coureurs de bois étaient de jeunes aventuriers qui échangeaient leur vie paisible au village pour partager la vie des indigènes de la Nouvelle-France. Ils étaient des traiteurs sans permis.
Quoi :
Ils voulaient :
a) faire des traités de commerce avec les peuples autochtones.
b) faire la collecte et la vente de fourrures
Il est arrivé aussi
a) qu’ils apprennent les moeurs et les langues des autochtones.
b) qu’ils développent la traite des fourrures au Canada.
c) qu’ils ajoutent aux connaissances de l’intérieur du continent américain.
Quand :
Cela a débuté avec la première poussée des colons français à l’ouest de la rivière des Outaouais ( vers 1650 ). Déjà vers 1680, il y avait plus de 500 coureurs de bois autour du Lac Supérieur.
Pourquoi :
Parce que la traite des fourrures était un succès retentissant ! Le gouvernement de la France était lui-même incapable d’empêcher ces aventuriers de s’éclipser dans les forêts avoisinantes. L’Église aussi ne pouvait pas contrôler ce trafic. L’affirmation pieuse que le mode de vie d’un coureur de bois minait les croyances chrétiennes était plus ou moins mis de côté lors de cette période.
|
|
|
|